L'Odyssée de Crateros

JUILLET -177.
A la tête du corps expéditionnaire Thrace envoyé par le Roi Seuthès pour soutenir les alliés Scythes, Menas Crateros avançait à marche forcée depuis 1 mois et demi en direction du Nord et des Germains.
Depuis plusieurs jours, le paysage était devenu plus sombre et glacial, si cela était encore possible. Mais où était passé l'Eté et sa chaleur qui gonfle le coeur des hommes que les Thraces connaissaient depuis toujours?
La grande forêt que l'on apercevait à l'horizon il y a peu engloutissait désormais les hommes en son sein; masquant le peu de lumière des journées. C'était le signe qu'ils approchaient du but.

La Germanie, territoire de nombreuses légendes cauchemardesques, refuge du Dieu cornu, du terrible PAN et des centaures. Mais l'on disait aussi que des hommes avides de chair humaine, des Cyclopes à quatre bras ainsi que des sorcières à la peau bleue vivaient ici.
Ces êtres chimériques seraient le dernier des soucis du vieux général, formé à la logique grecque (_les Germains représentaient déjà des adversaires formidables) mais le moral de ses troupes n'était pas brillant, et certains dans les rangs racontaient tout et n'importe quoi.

Un tiers de ses hommes, principalement les porteurs de Falx, étaient des vétérans de la campagne de Dacie; le reste, des levées venant principalement de Napoca, manquaient d'expérience.
Mais aucun d'eux n'avait jamais été allé aussi loin de leurs foyers, de mémoire d'homme.
Les pluies permanentes rendaient la marche difficile, harassante sur un sol boueux. Les médecins s'inquiétaient qu'une épidémie de grippe ne frappe la colonne de soldats.
Tout ceci faisait que le moral des hommes fluctuait, et s'ils avaient toujours foi en leur général, beaucoup se demandaient ce qu'ils étaient venu faire si loin.

_Un soldat:"Foutu pays, par Zeus et Mithra, il ne s'arrête donc jamais de pleuvoir ?!"
_Un deuxième: "Que sommes nous venu faire ici, allons nous voir enfin un ennemi, ou bien marchons nous vers le Tartare, le pays des ombres?"
_Un Officier: "Soldat, tu n'es pas payé pour te plaindre comme une femme, mais pour avancer, alors, AVANCE!"

Ses officiers avaient beau resserrer la discipline, le vieux général sentait qu'il était temps de s'adresser à ses hommes. La parole faisait souvent mieux que le nerf de beuf.
Cette nuit-là dans sa tente, il prépara le discours qu'il ferait à l'aube.
Peu avant le lever de la lune, les éclaireurs étaient rentrés au camp.
Il aurait une bonne nouvelle à donner ses hommes.

"Nous sommes venu jusqu'ici pour prêter main forte à nos alliés les Scythes. Cela vous le savez déjà.

La plupart d'entre nous foulent ces terres pour la première fois de leur vie. Je doute même qu'aucun Thrace ne se soit jamais aventuré aussi loin dans le Nord. Certains d'entre-vous voudraient rentrer dans leurs foyers? Et bien qu'ils partent! je ne les retiendrai pas.
Mais ceux-là, que vont-ils dire à leurs femmes, à leurs pères, à leur retour? Qu'ils m'ont abandonnés car ils avaient peur, Qu'ils ont abandonnés leurs camarades car ils étaient fatigués?
Seront-ce les seuls exploits qu'ils auront à raconter à leurs enfants?
Qu'ils partent donc ce matin-même, car je n'en veux pas dans mon armée.
Pour le reste, je leur dis, soldats! Affutez vos piques, préparez vos flèches, que la lame de vos Falx soit prête à trancher des membres!
Car nous touchons au but, je vous le dis, les éclaireurs me rapportent qu'ils ont rencontré des patrouilles de nos alliés, les Scythes. Ils disent nous attendre avec impatience et honneur et nous guideront vers l'Ouest, sous peu, nous ferons face aux Germains!
Vous avez fais le plus dur, vos corps et vos esprits s'endurcissent, Nul doute qu'une telle armée triomphera lorsque le moment viendra, quand vous venez ici en conquérants!
Et lorsque nous en aurons fini, nous prendrons notre part d'or Germain et rentrerons raconter nos exploits à Byzantium devant le Roi!"

Les bras se tendirent à l'unisson, l'air vibrait d'exclamations, les gorges scandait le cri de guerre tribal en rythme. Lorsqu' enfin Crateros réclama le silence, les officiers prirent le relai, et l'armée leva le camp...

SEPT-177.
L'armée Thrace était arrivé campait depuis une semaine devant les murs de pierre de la cité de Vicus Marcomanii. La plupart des tours de siège étaient assemblées, des balistes étaient déjà prêtes. L'armée avait de quoi s'approvisionner sans soucis majeur. Le moral des hommes était haut à l'approche de la bataille. Tout semblait se dérouler au mieux.

Pourtant, les renforts promis par les alliés Scythes pour encercler la cité fortement défendue ne pointaient toujours pas à l'horizon. Crateros était soucieux. Voilà une lune qu'il les attendait. Quelque chose ne tournait pas rond.
Quand enfin, aux derniers jours du mois, des cavaliers arrivèrent au camp, ce ne fut pas pour apporter les nouvelles qu'il attendait.
En effet, les messagers scythes surprirent le général par les deux nouvelles qu'ils venaient lui délivrer:

D'une part, une trève suivie d'un accord de paix venait d'être signée entre les tribus germaines et le royaume de Scilurus; de facto, le siège de Vicus Marcomanii n'avait plus lieu d'être. Ordre était donné de se replier.
D'autre part, le royaume thrace venait d'entrer en guerre avec la macédoine.

Ce fut un choc pour Crateros, et il ne cacha pas les émotions qui l'assaillaient violemment à l'écoute du récit de l'interprète sarmate, malgré son stoïcisme habituel.
Il frappa du poing la carte déployée sur sa table.
_Tu es en train de me dire que nous avons fait tout ce voyage pour rien?!
Aboya -t-il en fixant le messager de ses yeux gris et froids.

Les deux gardes bastarnae personnels coiffés du casque thrace entrèrent aussitôt dans la tente du général, leurs mains sur la garde de leur romphaia.
Le messager cavalier déglutit précipitamment et parla tout en reculant d'un pas.
_Je parle au nom de mon Roi, seigneur thrace, mais aussi au nom du vôtre! Votre présence est demandée au Sud , nul doute que vous pourrez aider votre royaume en guerre et y trouver gloire contre les macédoniens!

_Et quelles compensations sont prévues pour moi et mes hommes?
_Des compensations? Heu... Je, je n'en ai aucune idée, seigneur... Je crois que...

Mais Crateros n'écoutait déjà plus, sa colère se refroidissait, il regardait la carte et calculait déjà le trajet du retour tout en refoulant des pensées où se mêlaient trahison et honneur personnel .

_Très bien, hors d'ici à présent, votre présence n'est plus utile.

Les cavaliers ne se firent pas prier pour quitter le camp. Cratéros allait devoir faire appel à tout son charisme pour apprendre la nouvelle à ses rudes combattants, surtout les vétérans, et les rallier en bon ordre.