Les nouvelles affluaient à la cour du Roi du Pont. Bonnes, mauvaises, cruciales ou futiles.
Mithridate, troisième du nom, était de plus en plus gagné par la lassitude. Le poids des ans, le poids du monde qui semblait bouger trop vite, le poids de ses prédécesseurs. Jamais il ne s'était senti aussi peu à la hauteur de ses glorieux ancêtres, que les portraits et les fresques qui ornaient la salle du trône ne cessaient de lui rappeler.
Mais pour l'heure, il devait combattre ce sentiment ; il lui fallait garder les idées aussi claires que possible. La décision qu'il avait à prendre était certainement la plus importante de son règne. Devait-il encore une fois se ranger aux côtés de son allié et ami Artaxias Ier ?
La loyauté et l'honneur avaient toujours guidé ses choix, ses réussites et ses erreurs, et lui commandaient à présent de rejoindre l'Arménie sur le chemin de la guerre. Pourtant cette fois, un autre sentiment venait contrebalancer ses convictions. La peur.
Le conflit s'annonçait comme l'un des plus meurtriers que le monde ait connu, mais il y avait autre chose encore. Il ne serait probablement que le déclencheur d'un courant bien plus important, et les bouleversements incontrôlables qu'il entrevoyait dans le futur l'effrayaient plus que quoi que ce soit d'autre. Des images de cauchemar, des villes, des régions, des nations entières mises à feu et à sang, et la pire d'entre toutes le fit émerger de sa rêverie. Quoiqu'il arrive, il ne laisserait jamais rien arriver à son fils.
Il avait pris sa décision.
Après avoir lentement promené son regard sur la salle d'audience, il fixa l'ambassadeur arménien, assis au milieu d'autre courtisans à sa droite. Après un bref instant, il se leva, et prit la parole :- J'aimerais que mes paroles soient rapportées à tous les habitants du Royaume.
Comme vous le savez, l'Arménie est entrée en guerre contre les Royaumes Séleucide, Babylonien et Égyptien. Elle entend par là auréoler de gloire un nouvel Empire Perse. Cela fait plus d'un mois que le Roi Artaxias m'a fait part de ses intentions.
Je n'ai que trop retardé ma décision.
La Loyauté envers ses alliés est une vertu fondatrice de notre civilisation. La décision qui s'impose semble donc être de leur apporter notre complet soutien.
Il ménagea une pause, et vit l'ambassadeur Arménien exprimer un léger soulagement. Il allait être déçu.- Cependant, il existe une vertu supérieure à la Loyauté. Elle est au-dessus même de l'Honneur. La Compassion. Quand je pense à la guerre qui s'annonce, je n'y vois que massacres, rien que la douleur et la mort. Rien de bon ne sortira de ce conflit.
Et je REFUSE de conduire mon peuple à travers cela. Je refuse de cautionner cette escalade vers un désastre.
C'est pourquoi le Royaume du Pont n'entrera PAS en guerre contre les ennemis de l'Arménie. Nous défendrons nos alliés dans la difficulté, mais ne les suivrons pas dans leur soif de conquête !
Telle est ma volonté !
Un silence pesant suivit le discours du Roi.CLAP CLAP
- Bravo !
L'homme qui avait rompu le silence sortait d'une coursive dans laquelle il s'était dissimulé pour avancer au milieu de la salle, sans cesser d'applaudir.- C'était très ... émouvant.
Alors que l'homme tournait son visage vers lui, Mithridate le reconnut.
- Antares ! Qu'est-ce que ...
- Tais-toi, vieux fou !
Abasourdi par l'outrecuidance de son général, le Roi fut incapable de répondre, alors qu'Antares reprenait.- J'avais espéré que pour une fois, tu aurais su faire preuve de clairvoyance,
votre Majesté. Cela m'aurait peut-être évité ces efforts. Mais tu sembles condamné à répéter encore et toujours les mêmes erreurs !
- Que ... !
- Tu n'as pas l'air d'humeur à discuter, Majesté. Mais il y a ici quelqu'un à qui tu manquais beaucoup, et qui a tenu à te faire une petite surprise.
Il fit claquer ses doigts, et deux soldats, menés par un autre officier, s'avancèrent avec un prisonnier apparemment inconscient, le visage recouvert d'un linge. Quand il le retirèrent, le Roi écarquilla les yeux de stupeur, et ses jambes se dérobèrent.- Pharnakes ! Que ... Que lui avez vous fait ?
- Le Roi n'a pas l'air ravi de vous voir, mon Prince,
ironisa Antares en se tournant vers le prisonnier. Je compatis à votre déception.
Le souverain Pontique (hrp : ) s'était péniblement relevé, et profita de l'inattention passagère du général pour se jeter sur lui dans un accès de fureur. Mais Antares l'évita aisément.- Si j'étais toi, Majesté, j'éviterais ce genre d'initiatives.
Il fit signe à l'autre officier : Helios !
Ce dernier dégaina une dague ouvragée, que le Roi reconnut pour l'avoir offerte lui-même à Helios, alors tout récent général, et le pointa vers la gorge du Prince. Antares reprit la parole :- Un accident est si vite arrivé ... Quoi qu'il en soit, j'espère que tu sauras te tenir, maintenant, Majesté. Quelle tristesse que de contempler la déchéance d'un Roi.
- Tu n'oseras pas, Antares. Toi aussi, Helios ? Je regrette de devoir me séparer de mes deux meilleurs généraux de cette façon, mais ... GARDES ! SAISISSEZ LES !
Mais personne ne bougea. Les ambassadeurs et courtisans étaient pour la plupart trop choqués et effrayés pour ne serait-ce que cligner des yeux. Les gardes royaux, quant à eux, restaient impassibles à leurs postes.- Gardes ! Que signifie ...
- Tu n'as donc toujours pas compris, vieux fou ?
Il fit un geste de la main, et cette fois les gardes s'avancèrent. Mais ce fut sur le Roi qu'ils pointèrent leurs lances. Antares, une lueur presque démente dans le regard, commença à arpenter la salle.
- Tu n'as donc pas compris ... Mais par où commencer, comment expliquer ce qui relève de ... l'évidence ?
Inutile de t'encombrer de détails, j'imagine que tu réalises à présent. Tu dois avoir compris, enfin, à qui appartient le pouvoir dans cette salle. Mais tu te demandes peut-être ... pourquoi ? Ou ... comment ? Comment ces hommes que tu pensais loyaux, fidèles, ont pu te faire ça à toi, Roi aimant, plein de ... ha ! ... compassion.
La tentation est grande de te laisser dans l'ignorance, de la laisser te tourmenter jour et nuit jusqu'à ce que le peu de raison qui te reste ne t'abandonne, mais une telle cruauté ne me sied guère.
Non, pour être encore plus cruel, il faut que tu saches, que tu contemples ton échec, que tu te voies enfin tel que tu es.
- Je ne ... N'ai-je pas ... J'ai toujours ... essayé d'être ...
- D'être quoi ? Un bon Roi ? Mais un bon Roi, Majesté, ce n'est pas ce que tu crois. Toi, tu n'as été qu'un lâche. Qui veut d'un Roi qui s'écrase devant son peuple ? Qui veut d'un Roi qui se met des œillères, qui ne voit pas les changements qui affectent notre monde, pour qui tout va bien tant que son cher peuple n'est pas touché ?
De peur de perdre ton cher pouvoir, tu n'as eu de cesse d'amadouer le peuple par de belles paroles, de fausses promesses, et de vraies humiliations. Un Roi de cette trempe ... n'est qu'un imposteur.
- Je n'ai agi que pour protéger mon peuple !
- Peut-être. Mais ça ne change rien. Il faut être aveugle pour croire qu'en ne se mêlant d'aucun conflit, en restant lâchement dans un coin, le Pont connaîtra une paix et une prospérité éternelle. Autour de nous, les puissants de ce monde s'activent, et se contenter d'observer est courir à sa perte. En continuant comme ça, en fin de compte, notre pays sera balayé, emporté par le courant. Le flot du changement ne s'embarrasse pas des lâches.
- Tu ne me feras pas changer d'avis, Antares. Plutôt mourir que trahir mes idéaux !
- Changer d'avis ? Je crois que tu te trompes sur mes intentions, Majesté. Mais j'ai assez discuté avec toi. Helios va vous montrer vos nouveaux quartiers, à ton fils et à toi.
Les gardes se saisirent du roi déchu, et se dirigèrent vers les prisons du palais. Mithridate tenta vainement de se débattre.- Tu ne t'en sortiras pas de cette façon, Antares. Un jour, il te faudra payer, maudit traître !
- Traître ? Non. Je suis un héros.
Il grimpa lentement les marches, et se retourna vers tous ceux qui avaient assisté au spectacle.- Et si personne n'a d'objection ... Je serai plus encore. Peuple du Pont ... Acclame ton nouveau Roi !
Et ma première décision, sera de déclarer la guerre aux vils Séleucides, Babyloniens et Égyptiens ! Je donnerai au Pont-Euxin la grandeur qu'il mérite !
Sous les vivats de la foule, une nouvelle page de l'histoire venait de se tourner.[HRP : Pas tout à fait à la hauteur de ce que j'espérais, mais tant pis, le principal est là ^^ Maintenant ... n'ai sommeil !]